« La liberté est indivisible, et quand un seul homme est réduit en
esclavage, aucun autre n’est libre. Quand tous seront libres, alors nous
pourrons attendre le jour où cette ville ne sera plus divisée, le jour
où ce pays divisé ne fera plus qu’un… ».
Tel est l’extrait du légendaire discours de Berlin du président John
F. Kennedy dans lequel il fit cette déclaration qui avait secoué Berlin,
et partant, le monde entier: « Ich been ein Berliner ». En fait, il
disait que si une seule personne n’est libre, quelle que soit son
origine, personne ne peut prétendre être libre. C’est un discours qui a
inspiré le fameux mot-clic « #Je suis Charlie Hebdo », après le meurtre
barbare perpétré par des terroristes au bureau du journal français
Charlie Hebdo. En effet, le monde entier s’était montré solidaire face à
la douleur et à l’indignation qui s’étaient emparées de Paris et des
Français. Le président Kennedy s’était lui-même inspiré d’un recueil de
discours prononcés par Cicéron en 70 avant JC. En déclarant simplement
cette phrase latine « Civis rumanus sum », traduite par « Je suis un
citoyen romain », on pouvait ainsi prétendre au même droit de protection
qu’un citoyen romain.
Lorsqu’alors mes éminents confrères m’ont relaté ce qui s’est passé
lors de la dernière audience du Tribunal militaire de Yaoundé le 29
juillet 2017 dans l’affaire Agbor Bala, Dr Fontem, Mancho Bibixy et
autres, j’en ai été profondément affligé et perturbé. Affligé et
perturbé parce que cela aurait pu être vous ou moi, non pas parce que
nous sommes anglophones ou francophones, mais parce que nous sommes tous
censés être des citoyens d’un même pays. Il s’agit d’un procès dans
lequel tous les accusés sont des anglophones et tous ceux qui les jugent
sont des francophones. Deux courageux haut gradés en tenue, sachant
bien les éventuelles conséquences de ne pas se conformer, et faisant fi
de toute menace qu’ils pourraient subir face au régime en place, ont dit
la vérité en déclarant qu’ils n’avaient pas vu ces prévenus commettre
les actes de violence qui auraient été perpétrés, et pour lesquels ces
personnes étaient poursuivies. Ces nouvelles déclarations des témoins
clés qui ont ouvert la célèbre affaire ont-elles pu faire libérer nos
compatriotes ? Que non, ceux-ci croupissent encore dans les geôles.
Ils ont été arrêtés pour avoir revendiqué leurs droits, pour avoir
marché pacifiquement, pour avoir demandé de meilleures conditions de
travail dans leur corporation et un mieux être pour tous. Ils l’ont fait
en proclamant leur citoyenneté - citoyenneté qu’ils croyaient leur
conférer le droit à la liberté d’expression, le droit à la protection et
leur garantir une solution à leurs revendications. Au contraire, ils
ont rencontré en face d’eux une répression sans précédent, des
arrestations, des transferts et un procès qui a pris huit mois pour
commencer. Et sans aucune issue en vue…
Au lieu d’être les citoyens qu’ils se targuaient d’être, ils se font
désormais appeler anglophones, terroristes et sécessionnistes. Tout
autre Camerounais, qu’il soit francophone ou anglophone, aurait pu
soulever la problème de l’injustice et de la mal gouvernance. C’est un
mal qui prend de l’ampleur dans notre société. Si vous et moi sommes
libres, c’est juste parce que nous nous sommes résignés à la situation
actuelle. Nous en sommes arrivés à accepter et dire qu’il est normal que
certains détournent les fonds publics sans être appelés à rendre des
comptes, que certains abusent de leurs pouvoirs et pratiquent le
népotisme à ciel ouvert, tout en donnant des leçons de patriotisme aux
autres, cherchant ainsi à nous distraire de cette réalité, et de nous
diviser par l’étiquetage et la stigmatisation. Même le Commissaire du
Gouvernement du Tribunal militaire qui avait suivi cette affaire depuis
le début a été affecté à Ebolowa. Est-ce parce qu’il avait refusé de
s’opposer à la libération sous caution ? Est-ce parce qu’il s’était
accroché au code de procédure ? Ce code qui garantit vos droits et les
miens.
La liberté est indivisible. Nous ne pouvons pas prétendre jouir d’une
quelconque liberté lorsque nos concitoyens sont incarcérés injustement.
Le juge Ayah Paul, membre de la plus haute juridiction de notre pays,
mon camarade de lycée, (que de façon tout à fait prémonitoire nous
appelions « juge incorruptible» après une pièce de théâtre dans laquelle
il jouait le rôle du juge- et n’étions alors âgés que de 16 ans) aura
passé plus de 200 jours de détention. Nous ignorons encore pourquoi bon
nombre de Camerounais anglophones comme francophones, des leaders
respectables dans notre société, des responsables du Barreau de nombreux
pays, des officiels des Nations Unies, de International Crisis Group,
de l’Union Africaine et de plusieurs autres organisations ont plaidé
pour la libération de ces victimes qui se battent pour notre liberté.
Lors de la messe de requiem en la mémoire Mgr Jean-Marie Benoit Bala
(un autre cas mystérieux dans notre pays), un ministre de culte a
déclaré dans son homélie : « Le vrai pouvoir n’est pas violent, le vrai
pouvoir construit la paix, le vrai pouvoir construit le développement de
la nature sacrée du genre humain ». Dans cette homélie poignante, le
Révérend Père Joseph Akonga Essomba a poursuivi: « Dans cette vie, il y
en a qui sont considérés comme des fous du fait qu’ils ne se soucient
pas d’eux-mêmes, mais de l’importance de leur mission ici bas ». Est-ce
pour cette raison que ceux qui se battent pour nos libertés et notre
bien-être sont taxés de terroristes? Y a-t-il des personnes qui se
sentent menacées et terrifiées par la vérité?
À mes sœurs et frères francophones, je dis ceci : il est temps de
proclamer l’indivisibilité de la liberté. En tant que nation, nous
sommes vous, et vous êtes nous. Je ne prendrais pas de détours pour dire
que je suis francophone, si cela signifie s’identifier à ce qui est
juste et qui contribue à la construction de notre société.
J’invite tous les francophones qui auront lu cet article à relayer
via leurs réseaux sociaux, ce message unificateur en ces temps de crise:
« Je suis anglophone ». Ce message viendra confondre et intriguer tous
ceux qui veulent nous diviser pour leurs intérêts personnels et
égoïstes. Même en dehors des réseaux sociaux, faites-le savoir à vos
voisins, à vos collègues, à vos camarades de classe, et à vos
connaissances, que vous êtes tous ensemble pour lutter contre
l’injustice, et que vous êtes déterminés à défendre leurs droits.
Oui, vous devez le proclamer : «Je suis anglophone», et ce faisant,
vous aurez donc, selon le Révérend Père Akonga, réfuté la réponse de
Caïn de la Bible, à la voix qui lui avait demandé où était son frère
Abel. En effet, Caïn avait répondu: « Suis-je le gardien de mon frère?
». Oui, nous le sommes, a affirmé avec véhémence le Révérend Père. «Nous
sommes les gardiens de nos frères ». C’est pourquoi l’asservissement de
l’un de nous équivaut à l’asservissement de nous tous. La liberté est
en effet indivisible. Chacun de nous doit proclamer: «Je suis
anglophone». Ainsi nous serons tous appelés terroristes, si c’est la
rançon à payer pour le salut de notre nation. Épictète, le philosophe
grec, a dit quelque chose sur lequel nous pourrions aussi réfléchir : «
Aucun homme n’est libre s’il n’est maître de lui-même ». C’est ce dont
les Camerounais ont besoin maintenant.
C’est-à-dire la liberté qui leur permet d’être eux-mêmes. Celle qui
respecte leur diversité et en fait une richesse exceptionnelle. Celle
qui leur accorde l’égalité des chances et l’égalité devant la loi. Celle
qui récompense le mérite, le dur labeur et l’intégrité en refusant
l’impunité. Celle qui les fera clamer avec fierté : « C’est le Cameroun,
mon pays, ma chère patrie ! »
*Akere Muna*
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/ Deuxième lettre à mes Sœurs et Frères et Francophones : Le caractère indivisible de la liberté par Akere Muna
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