Opinions Nouvelles

Opinions Nouvelles
Opinions pour mieux comprendre où va le monde

LE MATRIARCAT OU LE VISAGE MECONNU DE L’AFRIQUE PROGRESSISTE par Ndjama Benjamin

Désigner l’Afrique subsaharienne comme civilisation matriarcale peut paraître révisionniste et
provocateur. L’idée n’a-t-elle d’abord prospéré dans les milieux de l’Afrocentricité avant d’être évaluée par l’université européenne et acceptée timidement. Une timidité qui camoufle mal le racisme du monde académique. Il est vrai , lorsqu’on se promène un peu partout en Afrique ce qu’on perçoit au premier abord ce sont les vestiges du patriarcat exubérant, fier de ses privilèges et arrogant par endroit. Il en résulte que cette façade parfois très démonstrative a eu pour conséquence de passer sous silence le leadership féminin dans la très longue histoire de l’Afrique.
L’Afrique subsaharienne est-elle une civilisation matriarcale ? L’a-t-elle été dans son passé et aurait cessé de l’être ? 
Le débat sur le caractère matriarcal de l’Afrique a acquis sa première grande résonnance à travers les écrits du savant sénégalais Cheikh Anta Diop.  En publiant Nations Nègres et Culture l’historien controversé, détesté par l’occident jetait un pavé dans la mare .Il soutenait en substance :<<Le matriarcat est le fondement de l’organisation sociale en Egypte et dans le reste de l’Afrique noire. Par contre, on n’a jamais pu prouver l’existence d’un matriarcat dit paléo-méditerranéen et qui serait l’apanage d’une race blanche>> pages 214-215 
Un peu plus loin il ajoutait :<< si  l’idée d’un matriarcat héritage d’une paléo-méditerranée blanche, n’était autre chose qu’une vue de l’esprit, elle aurait dû  se perpétuer à  travers  les époques : Perse, Grecque, Romaine, Chrétienne, comme elle s’est perpétuée jusqu’à nos jours en Afrique Noire. Mais nous savons qu’il n’en est rien>>. 
Le ton du savant sénégalais était agressif , clivant et racialiste. On comprend qu’il ait choqué  grand-monde  en dehors de l’Afrique, et que certaines personnes dans l’université française aient cherché à le lui faire payer très cher en bloquant la soutenance de sa thèse de doctorat reportée sine die. 
Nations Nègres et culture fut davantage explosif pour un autre sujet que le matriarcat. L’historien Sénégalais affirmait le caractère nègre de l’Egypte pharaonique et poursuivait en disant de cette civilisation qu’elle était africaine. 
 Le propos du savant et politicien sénégalais sur le matriarcat mérite cependant d’être nuancé. Tout comme les propos de ses adversaires blancs. Quand nous parlons <<d’adversaires blancs>> nous pesons les mots car sur ce genre de débats comme sur beaucoup d’autres soulevés par Cheikh Anta Diop la race de l’historien est souvent très importante pour comprendre l’orientation des positionnements et leurs enjeux cachés. 
Tout d’abord, qu’est-ce que  le matriarcat ? 
Les chercheurs parlent de matriarcat ou d’un système de parenté matrilinéaire. Pour définir le matriarcat on peut partir de divers angles d’analyse en fonction du champ disciplinaire dans lequel on se situe. Nous partirons principalement de l’anthropologie. 
Les anthropologues définissent le matriarcat comme une société où la transmission du statut social avec nom et fortune passent par la lignée maternelle. 
Dans une société matrilinéaire l’époux va habiter dans le village de l’épouse. 
L’intellectuel anglo-ghanéen  Kwame Appiah , né en Afrique dans la bourgeoisie de Accra, fils d’avocat,homosexuel revendiqué, formé à Cambridge en Angleterre, professeur de philosophie à l’université de Princeton, aux Etats-Unis a décrit avec plus de clarté ce que c’est qu’une société matrilinéaire en parlant de son ethnie les Akan du Ghana. Il écrivait dans un livre magnifique intitulé Pour un nouveau cosmopolitisme : 
<< intéressons-nous à la notion Akan d’Abusua .Il s’agit d’un groupe d’individus liés par une ascendance commune et ayant des relations d’amour et d’obligation les uns envers les autres. Grosso modo plus l’ascendance est proche plus les liens  sont étroits. Cela ressemble fort à une famille, non ?Or il existe une importante différence entre une Abusua et une famille. En effet un individu n’appartient à une Abusua qu’en fonction de l’identité de sa mère. Le père n’a pas d’importance. Si cet individu est une femme, ses enfants sont intégrés à l’Abusua, de même que les descendants de ses filles et les filles de celles-ci, ainsi de suite ,jusqu’à la fin des temps. L’appartenance à une Abusua tout comme l’ADN mitochondrial , ne se transmet que par les femmes. J’appartiens donc à la même Abusua que les enfants de ma sœur mais je ne fait pas partie de celle des enfants de mon frère. Et dans la mesure où je ne suis pas lié à mon père par une femme, mon père n’appartient non plus à mon Abusua. En un mot la notion de famille dans la culture Akan est de type matrilinéaire, ainsi que la désigne les anthropologues. Il y a un siècle dans la plupart des cas, le frère de la mère - l’oncle maternel  le plus âgé, ou Wofa assumait les fonctions qui étaient celles du père en Angleterre. Avec la mère de l’enfant, il était chargé de nourrir, vêtir et éduquer les enfants de sa sœur appelés Wofase. De nombreuses femmes mariées vivaient avec leurs frères et voyaient leur mari selon un emploi du temps fixe. Certes l’homme se souciait de ses enfants, mais ses obligations envers eux étaient moins contraignantes. Il jouait un peu le rôle qu’un Oncle aurait joué en Angleterre, en fait>>. 
Voici une belle définition de la matrilinéarité. 
Certaines sociétés matrilinéaires sont allées trop loin , elles ont pratiqué la polyandrie c'est-à-dire  la possibilité pour une femme d’avoir plusieurs époux simultanément. En Afrique, on trouvait la polyandrie chez les Bashilélé de la République Démocratique du Congo (RDC). 
Comment était organisée cette polyandrie chez les Bashilélé ? 
Un groupe de dix à trente jeunes hommes célibataires de la même tranche d’âge quittait le foyer pour vivre ensemble dans un quartier, le « Kumbu » qui leur était spécialement réservé. Après leur installation, une fille était choisie qui deviendra leur « femme commune ». Ils mettaient ensemble la dot à donner aux parents. Avant le mariage proprement dit, les jeunes se livraient à la compétition pour charmer la fille qui avait le dernier mot car elle pouvait en éliminer l’un ou l’autre qui s’était maladroitement conduit. Les jeunes retenus étaient soumis à la règle de la femme qui en assurait l’organisation. Une telle femme avait un statut privilégié et ses enfants appartenaient au Kumbu. La religion chrétienne et la colonisation ont considéré cette tradition comme barbare et l’ont découragée jusqu’à sa disparition. 
Voici comment l’occident a détruit les traditions africaines. En quoi la polyandrie est plus barbare que l’homosexualité ? 
Il existe une autre approche pour définir un système matrilinéaire. Elle ne prendra pas en compte le fonctionnement des systèmes de parenté, mais le fonctionnement des systèmes politiques. On dira d’une société matrilinéaire que c’est une société exclusivement dirigée par les femmes. 
Sur la place du matriarcat en Afrique, il y a deux camps : 
Les partisans de l’Afrocentricité et leurs adversaires européens. 
L’Afrocentricité a dit des choses vraisemblables. Elle a parfois exagéré dans le détail. Le matriarcat a bel et bien existé en Afrique. Il n’a pas existé sur tout le continent , ni à toutes les époques. Il a été combattu et broyé par l’occident. 
Les adversaires occidentaux de l’Afrocentricité ont été partagés entre deux extrémités toutes regrettables, mensongères et fallacieuses. L’une d’elles a consisté à nier l’existence de sociétés matriarcales.  
C’était la position de l’anthropologue Françoise Héritier : « Les seuls exemples que l'on a des sociétés matriarcales sont mythiques. Des sociétés où le pouvoir serait entre les mains des femmes avec des hommes dominés n'existent pas et n'ont jamais existé. […] Il n'y a pas de sociétés matriarcales, parce que le modèle archaïque dominant sur toute la planète est en place dès le départ.>> 
Si Françoise Héritier était un homme on l’aurait soupçonné de machisme. Faut-il penser à autre chose ? le racisme .Comment une dame qui a succédé à Claude Levi- Strauss au collège de France inaugurant la chaire d’études comparées des sociétés africaines peut ignorer l’existence des sociétés matriarcales. 
L’autre attitude a consisté à reconnaître leur existence, tout en les dénigrant. C’était la démarche de Maurice Godelier : Qui expliquait : << en Nouvelle-Guinée, le monde originel fonctionnait mal, car les femmes avaient, certes, un pouvoir créateur, mais brouillon. Elles ne savaient pas s'en servir. Sans doute avaient-elles inventé l'arc et les flèches pour tuer le gibier, mais, au lieu de tirer droit devant elles, elles tiraient en arrière et tuaient les hommes qui les suivaient. Les hommes les dépossédèrent donc raisonnablement de leurs armes pour s'en servir correctement.>> 
Reconnaître qu’en matière d’émancipation des femmes l’Afrique fut à certaines époques plus évoluée que l’occident a été une révélation difficile à admettre pour beaucoup d’occidentaux, explorateurs, marchands, chercheurs… 
Les deux grands visages du leadership féminin : 
La femme régnante et la femme chef des armées 
Les femmes régnantes 
Comme dans les sociétés matrilinéaires la transmission des fonctions et des biens passait par les femmes, le pouvoir des hommes s’en trouvait plus dispersé, car la vie était organisée autour de la mère. La lignée maternelle avait une telle importance que le pouvoir effectif put même à plusieurs endroits tomber aux mains des femmes. 
En Afrique de l’ouest ,on rencontre une vieille tradition de femmes-chefs comme dans le centre du Cameroun pré-allemand ,ou chez les flup de Casamance au sud du sénégal. On trouve aussi les femmes chefs chez les Mende et les Cherbo de Sierra-Leone. En 1787 ce fut une femme Cherbo ,  la reine de Yamacouba qui céda la presqu’île à une société anglaise. Deux autres femmes signaient encore un siècle plus tard des traités analogues.Madame Yoko joua un rôle considérable à la tête d’une véritable confédération Mende qui devint le groupe le plus puissant du Sierra leone intérieur. 
En Afrique australe,les femmes semblent avoir joué un rôle politique et militaire relativement important chez les zulu où l’on sait que SHAKA souverain redouté du début du 19e siècle armait aussi bien les filles que les garçons dans une organisation militaire asexuée. 
Vers la fin de 1563_1570 ,dans le royaume Kanuri du Bornou la reine Aisa Kiri, fils du précédent souverain, assura la transition jusqu’à ce que le fameux Idriss Alaoma fut capable d’assumer le pouvoir. Célébrée par les traditions orales, son histoire fut passée plus tard sous silence par les sources arabes peu soucieuses apparemment de reconnaître le rôle prééminent d’une femme chef d’Etat. 
En Ethiopie la plus célèbre de ces femmes de pouvoir fut au XVIII Siècle l’impératrice Menetewab. Elle assura la régence à la mort de son époux. Elle fut évincé en 1769 par un nouveau candidat à l’empire. C’est alors qu’elle rencontra le voyageur James Bruce qui l’incita à écrire son histoire. 
Il existe un cas célèbre qui ne saurait échapper à notre vigilance c’est la reine Nzinga d’angola.Elle naquit vers 1582 et aurait été fils d’une esclave et d’un roi ou mbande à ngola de ndongo ;les portugais firent de ce titre en le déformant, le nom de ce pays <<Angola>> ; 
A côté des femmes régnantes, il y a eu les femmes chefs d’armée. 
Les chefs d’armée 
Dans cette catégorie nous avons notamment Yaa Asantewaa des Ashantis du Ghana. Elle a incarne l’esprit de rébellion lorsqu’une majorité masculine se résignait.Elle affronta les britanniques en assiégeant le fort de Kumasi. 
Lorsqu’on s’arrête aux Sénégal du 19e siècle on est submergé par l’image de Ndaté yalla.Elle incarne la résistance aux voisins maures et aux colons français. 
Le cas le plus célèbre de femmes guerrières est celui des amazones ,femmes soldats du Dahomey. Elles représentaient 40% des effectifs de l’armée.Elles jouèrent un rôle majeure dans la résistance aux troupes françaises du temps du roi Behanzin. Elles ont marqué les voyageurs par leur bravoure et leur génie militaire . 
La maternité : une symbolique du pouvoir  
La fonction reproductrice de la femme et son rôle dans le travail de la terre ont souvent été associé dans le culte de la fécondité. La procréation ne donne pas seulement du prestige aux femmes, elle permet par certains rituels de les identifier aux forces vitales. Le pouvoir étant défini dans l’Afrique ancienne non par l’autorité sur les facteurs de production inertes et limités(la terre) ;mais par l’autorité sur 
sa propre existence et celle d’autrui, celui de la femme dépend étroitement de ses enfants. Une femme sans descendance était par définition une femme sans pouvoir. A la différence des hommes dont l’identité se rapportait aux ancêtres , celle des femmes était liée à leurs enfants. Ainsi l’usage était de s’adresser à un homme comme <<fils d’un tel>> tandis que la femme mariée était désignée comme <<mère d’un tel>>. L’importance donnée à la fécondité et la maternité constitue probablement une différence majeure dans les conceptions de libération de la femme en Afrique et en Occident. Dans les sociétés occidentales associer une femme à la nature, par opposition à l’homme symbole de culture ,est la condamner à l’infériorité, la nature étant postulée inférieur à la culture.  
On en vient à ce paradoxe que nous devons expliquer : L’Afrique draine pourtant une réputation de civilisation patriarcale ; et l’homme africain une réputation de macho. D’où vient ce patriarcat qui semble avoir pris trop de place en Afrique ? et comment expliquer que le matriarcat historique soit devenu si discret ? 
Le patriarcat a toujours existé en Afrique. Lorsqu’on remonte le temps on découvre qu’il n’a pas toujours régné sans partage. Il a dû négocier à plusieurs endroits avec le matriarcat. Ce dernier a reculé devant l’entrée en force de la colonisation de l’islam et de la chrétienté. Les sociétés qui pratiquaient la polyandrie ont vu leurs styles de vie se diluer sous le déluge viriliste venu d’abord d’orient et ensuite d’occident. Entre temps la polygamie faisait son chemin. 
Ce texte fait suite à un autre qui a fait polémique. Il avait pour titre : 
<<L’imposture de l’égalité homme-femme dans la civilisation occidentale>>. 
Si certaines personnes nous ont applaudis beaucoup d’autres ont manifesté une désapprobation radicale sur ce qu’ils croyaient être l’esprit du texte ; Il y avait derrière cette désapprobation la peur compréhensible que l’article fleuve ne soit une invitation à maintenir l’écrasante et ignoble domination masculine avec son cortège d’abus, de privilèges injustifiés, d’archaïsmes.. 
Soyons clair, ce n’était pas l’intention du texte. Il n’était nullement question de présenter comme un chemin à suivre le machisme méconnu d’une civilisation occidentale pourtant respectable. Et si c’était le cas, nous serions carrément à côté de la plaque. 
Qu’est-ce qui pourrait bien justifier les violences faites aux femmes ? La violence est presque toujours la conséquence d’un abus. Un homme qui bastonne sa femme  n’abuse t-il pas d’un privilège de la nature : Sa force physique.  
Que voulions-nous dire très modestement ? Derrière le texte fleuve il y avait le message suivant adressé à nos sœurs, amies et épouses : cessez de citer en exemple des civilisations qui ne sont pas forcement des modèles, car si on devait visiter l’histoire et la sociologie de l’occident, on trouverait dans cette civilisation un lourd héritage de violence et de mise à l’écart de la femme qui n’existe pas chez nous.  
Nous n’avons pas des leçons d’égalitarisme homme-femme à recevoir de l’occident. Car sur terrain contrairement à ce qui est quotidiennement dit à longueur de médias, nous pouvons justifier d’une supériorité intrinsèque. Relisez votre propre histoire. 
Partagez sur Google Plus

About BIGDeals

This is a short description in the author block about the author. You edit it by entering text in the "Biographical Info" field in the user admin panel.
    Blogger Comment
    Facebook Comment

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Laissez nous un commentaire sur cet opinion.